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Le Prince et le Pauvre

By Kalsang

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Partie I

Chapitre 03

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Le lycée. Un lieu convivial où l’on peut retrouver ses amis, apprendre des choses nouvelles, sortir de chez soi, rencontrer des gens, avoir des délires, bref s’amuser quoi !

« Putain de bahut de merde… » maugréa Thomas dans sa barbe.

Bien sûr, tout dépend des personnes…

Thomas, lui, détestait ça. Il détestait l’ambiance, il détestait les profs, il détestait les cours, il détestait les merdeux de sa classe.

Il avait arrêté l’école pendant deux ans après le collège, et n’était revenu que pour “faire plaisir” à Andy qui n’avait eu de cesse de lui répéter à quel point il était important d’avoir son bac, surtout si un jour l’envie venait à Thomas d’aller à l’université ou de passer un BTS. C’était idiot, parce que le roux n’avait aucune autre ambition que de frapper sur sa batterie, mais si ça pouvait faire plaisir à Andy et sa sœur…

Il avait tout de même failli abandonner en juin dernier, quand le conseiller principal d’éducation lui avait dit qu’il ne pouvait rentrer en terminale que sous contrat. Encore une fois, Andy l’avait convaincu d’accepter le contrat et d’arrêter de ne venir en cours que tous les trente-six du mois.

C’est pourquoi, à tout juste vingt ans, il étudiait avec un plaisir non dissimulé et un entrain contagieux les joies de l’informatique et de la gestion en terminale technologique. Ô bonheur.

En ce lundi matin, il était appuyé contre le mur en face de sa salle de classe, ses écouteurs sur les oreilles, à attendre que le professeur d’italien arrive. Vu le faible effectif d’élèves qui suivaient ce cours, toutes les sections avaient été rassemblées en une seule et même classe d’une vingtaine d’élèves. Le corps enseignant trouvait “stupide” de faire une dizaine de classes de deux à trois élèves maximum, et “plus judicieux” de tous les prendre en même temps.

Mais, à l’avis de Thomas, ça devait surtout arranger ce flemmard de prof d’avoir toutes ses terminales en une seule et même classe. Enfin, il devait quand même bien se faire chier durant ses longues heures de glandouille dans la salle des profs… À moins qu’il en profitât pour muscler son bras droit…

Peu à peu, les élèves arrivaient et le couloir fut de plus en plus bruyant, si bien qu’au vu des conversations si fascinantes il augmenta le volume de son vieux baladeur CD. Ce brouhaha était insupportable… Quel intérêt de parler du dernier match de l’OM contre le PSG, ou d’évaluer le potentiel de séduction de toutes les filles ici présentes, franchement ?

Après cinq minutes de retard, alors que les autres s’imaginaient déjà avec l’heure de libre, le professeur arriva enfin, accompagné d’un garçon brun qui avait l’air de marcher avec un balai dans le cul.

Plus que son visage, ce fut sa posture que Thomas reconnut alors. Il s’agissait du gosse de riches qu’il avait vu se faire agresser le samedi soir.

Indifférent, il attendit que tout le monde soit rentré dans la salle pour se décoller du mur et entrer d’un pas traînant.

« Quand vous voudrez, monsieur Duval… »

Le roux jeta son sac sur une table du fond, près de la fenêtre, adressa un large sourire hypocrite au professeur et s’installa nonchalamment, éteignant son baladeur.

Il ôta son écharpe et son blouson pendant que le professeur présentait le nouvel élève à la classe.

« Je vous présente William Lecomte, qui sera en terminale ES à partir d’aujourd’hui. J’espère que… »

Thomas leva les yeux de la table pour regarder une nouvelle fois le brun, et cela le renforça dans son opinion. Ce gamin était une vraie tête à claques. La manière qu’il avait de regarder les autres élèves était trop hautaine, on aurait dit qu’il les prenait pour de la merde. Ses vêtements étaient trop soignés, on aurait dit qu’il narguait les autres et leurs fringues de supermarché. Ses cheveux noirs étaient parfaitement lissés, sans la moindre mèche rebelle. Le parfait petit gosse de riches qui pète plus haut que son cul. Et surtout, surtout, Thomas détesta de voir les yeux noirs du garçon se poser sur lui. D’où il croyait avoir le droit de le regarder dans les yeux ?

Le roux attendit que l’autre garçon regarde ailleurs pour se détourner et sortir ses lunettes de son sac afin de les poser sur son nez.

« Monsieur Lecomte, allez vous asseoir, » l’expédia le professeur après la rapide introduction que Thomas n’avait pas écouté.

Ce jour là, sous les murmures moqueurs de quelques crétins de la classe qui voyaient là leur future victime, Thomas ignorait que ce gosse de riche si agaçant allait changer à ce point sa vie.


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Le lycée, à l’instar des autres bâtiments du coin, était dans un impressionnant état de délabrement avancé. Il était étonnant de constater qu’il tenait toujours debout, à ce niveau là. William apprit plus tard que les cinquièmes et sixièmes étages avaient été condamnés, à cause des risques d’effondrement.

Il apprit également bien plus tard qu’il s’agissait d’une ancienne prison, mais ça ne changeait pas grand-chose à l’établissement.

Le conseiller principal d’éducation lui donna rapidement l’emploi du temps de sa classe, avant de le confier à son premier professeur de la journée, celui d’italien.

William n’avait même pas pu visiter le lycée, et il espérait qu’il ne se perdrait pas pour se rendre à ses autres cours. Il tenta donc de repérer les numéros des couloirs tout en suivant sagement son professeur.

En arrivant devant sa classe, il remarqua immédiatement le rouquin, avant même de voir les autres élèves. Il était appuyé négligemment contre un mur, les yeux mi-clos, un casque audio sur ses oreilles. Il portait un jeans déchiré, des boots noirs délacés, une vieille veste en cuir. Il avait quatre, non cinq piercings à son oreille, une barbe de deux jours. Il n’était pas spécialement beau, avec ses vêtements négligés et ses épais cheveux roux emmêlés. En passant devant lui, William remarqua même qu’il dégageait une odeur discrète de cigarette.

Pourtant, quelque chose chez le jeune homme fascinait déjà William, et son image ne le lâchait plus alors qu’il entrait dans la salle à la suite du professeur. Et pendant que ce dernier le présentait à la classe, le regard de William s’égara une nouvelle fois vers le rouquin.

Il distingua pour la première fois la longue cicatrice qui barrait la partie gauche de son visage, il ne l’avait pas remarquée dans le couloir (il l’avait aperçu de profil à ce moment là). Son œil gauche semblait plus fermé que le droit, et son iris était d’un marron légèrement voilé de blanc. Il semblait même un peu…mort, à première vue du moins. A contrario, son œil droit était vif et à l’affût. Mais aussi différents qu’ils fussent, tous deux brillaient de la même lueur.

Non, ce garçon n’était pas à proprement parlé “beau”. Mais, à bien regarder, il avait son charme. Et, sans que le brun ne comprenne vraiment pourquoi, ce garçon plut immédiatement à William.

Peut-être était-ce cette attitude de chat sauvage qu’il dégageait. Peut-être était-ce ce regard qui semblait le défier de lui adresser la parole ou de simplement le regarder.

Ou peut-être était-ce simplement cette impression de douceur innocente qu’il percevait dans ses yeux.

Mais nul doute que William était définitivement trop romantique et naïf, pour imaginer ce genre d’innocence dans le regard du roux…


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La journée ne s’était pas trop mal passée. William avait rapidement sympathisé avec une fille de son âge, Angélique, qui était dans la même classe que lui et dont le professeur d’économie lui avait confié la charge de lui faire visiter l’établissement.

Fière de son rôle, elle l’avait accompagné pour qu’il ne se perde pas et lui avait promis de l’aider à se mettre à niveau pour ses cours, bien que dans le fond William pensait qu’il n’allait certainement pas être perdu – ce lycée était loin d’être au même niveau que son précédent.

Mis à part la jeune fille, il avait tout de suite remarqué qu’il ne plaisait pas à grand monde. Ici, il n’appartenait pas à la même classe sociale que les autres, et ils semblaient lui en tenir rigueur.

Déjà, il avait entendu quelques garçons rire de lui dans son dos pendant le cours d’économie. Mais il évitait de s’en soucier. S’il ignorait les moqueries, alors les autres se lasseraient bien vite, pas vrai ?

Angélique également ne semblait pas faire l’unanimité dans la classe, mais William n’y réfléchit pas trop. Elle était gentille avec lui, c’était tout ce qui importait.

Parallèlement, il avait reçu un message d’Andy qui lui demandait s’il était bien rentré chez lui samedi dernier ; et William lui téléphona pendant la pause de midi pour lui expliquer rapidement sa situation.

Vivant non loin du lycée, dans le même arrondissement, le blond avait aussitôt annoncé qu’il viendrait le voir devant chez Martin, le soir même, pour lui faire visiter le quartier.

C’est ainsi qu’en fin d’après-midi, William se précipita à l’appartement de son oncle.

L’immeuble était délabré, et des pans complets de plâtre étaient tombés, laissant à nu les briques rouges. Des tags informes, représentant des mots auxquels le garçon ne prêtait aucun sens, décoraient les murs

L’interphone était hors d’usage, la porte tenue ouverte par une vieille brique, et le brun n’utilisait que les escaliers – vu l’état d’écroulement avancé de la façade, il ne se sentait pas le courage de prendre le risque d’utiliser l’ascenseur. Quatre étages plus haut, ce fut complètement essoufflé et avec un point de côté qu’il ouvrit difficilement la porte – il finirait bien par choper le truc pour à la fois soulever et tirer la porte, et baisser la poignée tout en tournant la clef dans la serrure… un jour.

Rejoignant sa nouvelle chambre – autrefois le bureau de Martin – William y jeta son sac avant de repartir en catastrophe pour attendre son ami.


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Le café où ils s’étaient arrêtés était simple et convivial, à l’opposé des bars devant lesquels ils étaient passés, là où les gens buvaient, fumaient, parlaient fort et regardaient Andy comme s’il était le dernier extraterrestre descendu sur Terre.

William souffla sur son café brûlant avant de porter la tasse à ses lèvres… et de se brûler la langue en avalant une gorgée.

Il grimaça et reposa sa tasse dans sa soucoupe avant de redresser la tête pour regarder Andy.

« Donc, mon père a dit que ça serait bien pour moi de vivre ici, il dit que je reviendrai à la réalité si je vivais à la dure. Mais moi, je ne trouve pas cela bien difficile.

— Pour l’instant, Bunny, sourit Andy. Mais attends de voir, le jour où y’aura plus d’eau chaude dans l’appart’ de ton oncle, les nuits où tes voisins feront la fête sans se soucier de toi, ou même les incendies, de temps en temps… »

Le blond glissa la queue de sa cuillère dans son plâtre pour se gratter le poignet, puis s’appuya un peu mieux sur la table pour regarder son ami.

« Alors, tu as vraiment menti sur ton âge ? s’enquit-il, curieux.

— Eh bien… je ne pouvais pas avoir mon permis moto à seize ans, j’ai donc… arrangé les choses. Juste un petit chiffre… Un huit transformé en cinq… »

Andy secoua la tête sur un air à la fois amusé et affligé.

« Donc, en vrai, tu as… il calcula rapidement. Dix-sept ans ? Tu sais, je vois pas pourquoi tu m’as menti à moi aussi.

— La première fois qu’on s’est rencontré, je n’allais pas te dire que j’étais rentré dans la boite grâce à une fausse carte d’identité… Et après, je n’ai plus trouvé le bon moment pour te dire “hé, tu sais quoi ? En réalité je n’ai pas vingt ans, j’en ai dix-sept !”.

— Mais y’a pas que ça. Tu n’es pas majeur, tu n’es même pas mécano, t’es un lycéen et futur étudiant en management… Surprenant… »

William sourit et tenta une nouvelle fois de boire son café, sans se brûler la langue de préférence.

« Tu t’appelles bien William, au moins ?

— Sur ça, je ne t’ai pas menti !

— Non, parce que vu que ta copine t’appelait “Bill”…

— C’est juste un surnom. Et aussi mon nom d’emprunt.

— T’es un p’tit rebelle, en fait ! J’approuve ! » s’amusa le jeune homme en souriant largement à son ami tout en lui frottant gentiment les cheveux sous le visage faussement outré de William, puis il soupira en ramenant une mèche blonde derrière son oreille pendant que le brun arrangeait sa coiffure… comme il le pouvait.

« Eh bien… Et maintenant, tu es à quel lycée ?

— Celui du quartier Saint Charles.

— Je connais un mec qui y est ! B’en, tiens, c’est Tommy, celui qui m’a remplacé à la batterie samedi soir !

— Ah oui ?

— Tu me le dis si tu te sens paumé ou quoi, je lui dirai de s’occuper de toi. Il me refuse rien. Mais toi, y risque de te bouffer… ajouta-t-il après une petite pause

— Je crois que ça ira, » sourit William.

Finalement, il ne se sentait pas trop mal dans ce quartier. Il était certes loin de ses amis, mais il en avait d’autres ici.

« Tu sais… commença le brun, il y a un garçon assez charmant dans mon cours d’italien… »

Andy lui fit un sourire très intéressé par-dessus sa tasse.

« Raconte-moi ça… »


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« Je veux un enfant.

— Bonjour, Jess, moi aussi je suis content de te voir. Comment va ta vie ? »

Une jeune femme s’appuya sur le comptoir de « Tout Temps Musique ». Elle repoussa une longue boucle blonde derrière son épaule et fixa Thomas d’un regard brûlant.

« Je suis sérieuse, Tommy, je veux un enfant. »

Le rouquin roula des yeux et retourna sur sa feuille de stock qu’il devait remettre à jour. Il finirait bien par pouvoir se payer un ordinateur un de ces quatre, et son travail n’en sera que plus simple à ce moment là…

« Ça fait six ans qu’on se connaît, et six ans que tu me dis ça. Qu’est-ce qui se passe, Christophe veut pas t’en faire un ? »

Jessica poussa un profond soupir triste, et Thomas leva les yeux de sa feuille. Elle n’avait pas l’air bien.

« Qu’est-ce qui se passe ? répéta-t-il.

— Il m’a plaquée… »

La jeune femme croisa les bras sur le comptoir pour y enfouir la tête, et Thomas caressa tendrement ses cheveux. Depuis trois ans qu’ils avaient rompu, elle collectionnait les petits amis qui la faisaient souffrir. Non pas qu’elle en ait eu tant que ça, mais elle était comme n’importe quelle femme de son âge, elle voulait quelqu’un dans sa vie. Une relation sérieuse, quelqu’un avec qui elle pourrait se poser et commencer une vie de famille. C’était une des raisons pour lesquelles Thomas et elle avaient rompu. Et ils étaient bien plus proches maintenant qu’ils ne l’avaient jamais été quand ils sortaient ensemble.

« Pourquoi ?

— J’ai fait la bêtise de dire qu’on était ensemble, toi et moi, autrefois… »

Thomas ricana.

« Il a pas apprécié que t’as perverti un gamin de quatorze ans quand t’en avais vingt ? »

Elle se redressa d’un coup et lui jeta un regard faussement noir.

« T’étais déjà perverti, Tommy !

— Tsss ! »

Il lui adressa un large sourire, et lui caressa une dernière fois la tête avant de replonger dans ses fiches. De la même manière que son petit frère Andy, cette fille avait le don de faire ressortir en lui un côté affectueux dont il niait vivement l’existence. Non mais.

« Donc, c’est de ta faute ! Alors fais-moi un enfant ! ordonna-t-elle.

— J’veux pas de marmot, je sais déjà pas m’occuper de moi. Pis t’as le temps, y’a tout qui tient encore droit tout seul… Ouch ! »

Il se massa douloureusement le haut de son crâne, là où son amie lui avait envoyé une gifle. Espèce de psychopathe.

« Mon programme, c’était d’avoir un gosse le plus tôt possible pour pas qu’il y ait un écart trop grand entre nous. J’ai déjà vingt-six ans !

— Et un utérus qui appelle au fœtus… »

Elle se pencha un peu et lui adressa le regard ” puppy-eyes” familial.

« Thomas, fais-moi un enfant…

— Pas question.

— On s’entend bien, on est beaux, aucun problème d’obésité ou de calvitie, et vu qu’on a déjà couché ensemble y’aura aucune mauvaise surprise… en fait, tu es bien mieux que n’importe quel petit ami ou mari !

— Pas question.

— T’es pas sympa… » bouda Jess.

Il sourit largement.

« Merci. »

La jeune femme sortit un élastique de sa poche pour attacher ses cheveux, et se retourna pour saluer un client qui venait d’entrer dans la boutique.

« Tu sais qu’Andy voit son mec, ce soir ? On devait faire la cuisine ensemble, avant que j’aille bosser… »

Thomas hésita un instant, se demandant s’il devait ou non aborder le sujet avec elle. Puis, finalement, il se lança – après tout, il n’avait rien à perdre, sauf qu’il risquait d’inquiéter Jess pour rien.

« Tu trouves pas ça bizarre, qu’il nous l’ait jamais présenté ? »

Son amie quitta le client du regard pour froncer les sourcils. Elle tritura pensivement une boucle de ses cheveux blonds.

« C’est vrai, il a toujours sauté sur la moindre occasion pour exhiber son copain.

— Il a peut-être honte de lui… ou de nous !

— Ou alors il l’aime tellement qu’il veut le garder pour lui tout seul, » suggéra Jess avec un petit sourire rêveur.

Thomas grimaça, et salua poliment le client qui venait de repartir sans acheter le moindre truc. Il devrait y avoir une loi contre ce genre de clients.

« Vaudrait peut-être mieux pas. Vous êtes pareil sur ce coup là, toujours à craquer pour les mecs qui vous font souffrir…

— Tu t’inquiètes pour lui ?

— Maaaaiiiiis non, j’en ai rien à foutre, du tout ! » se défendit vivement le jeune homme.

Comme il le disait bien souvent, il n’en avait rien à faire des autres. Non, franchement…

« Bon, je crois que je vais y aller, déclara alors Jess en regardant sa montre.

— Tu as ton service à quelle heure ?

— Vingt et une heure. J’adore le service de nuit… » ironisa la jeune femme.

Quand Thomas l’avait rencontrée pour la première fois, Jess était encore à l’école pour faire infirmière. Et aujourd’hui, elle travaillait à temps plein dans un hôpital non loin de leur quartier.

« Ferme pas la boutique trop tard, tu sais que ça craint vite par ici, » conseilla-t-elle en se dirigeant vers la sortie.

« Oui m’man ! »


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Cela faisait maintenant une semaine que William avait emménagé chez son oncle. Et, à son avis, il ne s’en sortait pas si mal.

Bon, d’accord, le canapé-lit du bureau sur lequel il dormait n’était pas très confortable, le matelas mousse avait pris la forme de ses fesses en trois nuits et son dos le faisait souffrir. Et puis, son oncle n’était pas un super cuisinier, ses pâtes étaient presque crues, ses steaks carbonisés. Sans compter que l’appartement entier devait faire la même superficie que sa chambre chez ses parents. Mais c’était vivable, et surtout il avait rapidement repéré un traiteur non loin de chez eux, pour avoir des repas sains… Et les gens du pressing où il emmenait son linge étaient très agréables.

Et puis Angélique, l’amie qu’il s’était fait le jour de la rentrée, était vraiment sympathique et il ne se sentait pas trop isolé au lycée… En réalité, il ne connaissait personne à part la jeune fille, et elle-même n’avait pas d’autres amis, mais ça lui suffisait.

Ce qui le décevait un peu, c’était qu’il n’avait pas revu le garçon roux depuis le premier cours d’italien. Ce dernier avait été absent le jeudi, pour la seconde heure de la semaine.

Ce matin là, William se réveilla un peu fatigué après un week-end passé à suivre Andy dans tous les coins branchés qu’il connaissait.

Il se doucha et s’habilla rapidement, puis mangea un petit bout de brioche avant de partir au lycée.

Son oncle avait quitté l’appartement assez tôt pour se rendre à son moto-club.

Il arriva en avance et grimpa directement dans le bâtiment principal pour attendre devant sa salle de classe. Il fut un peu déçu de voir que le roux n’était pas encore arrivé… Il aurait aimé simplement le voir.

Il s’appuya contre le mur à côté de la porte d’entrée de la salle, et feuilleta distraitement son cahier d’italien… ou tout du moins, il crut faire ça distraitement, pourtant quand il leva les yeux il vit alors le roux. Appuyé contre le mur, les yeux mi-clos à écouter sa musique. Les mêmes vêtements, ou probablement le même style de vêtements, les mêmes cheveux roux épais et en bataille, la même cicatrice sur la joue gauche. La seule différence était qu’il n’avait plus sa barbe de deux jours.

Il l’intriguait. Il l’intriguait vraiment.

Sa respiration s’accéléra, et il déglutit discrètement, mais le roux ne semblait pas avoir remarqué son intérêt.

Alors William prit son courage à deux mains et s’avança lentement vers le garçon.

« Heu… excuse-moi ? »

Le roux n’eut autre réaction que d’ouvrir les yeux pour regarder le brun.

Ce n’était pas très encourageant tout ça… Dommage pour le cœur de William qui menaçait de bondir hors de sa cage thoracique. Mais reprends-toi !

« Heu… tu n’étais pas là jeudi alors… alors, j’ai pris tes cours… voilà… »

En essayant de ne pas paraître trop stupide (et c’était difficile), il feuilleta dans son cahier d’où quelques feuilles s’échappèrent, se pencha pour les rattraper en faisant tomber son sac, qu’il préféra laisser à même le sol pour se redresser et voir que le roux n’avait pas bougé d’un poil et le regardait toujours de manière indéfinissable.

Il ne s’était jamais senti aussi idiot de toute sa vie. Même Xavier, le garçon dont il avait été amoureux pendant deux ans, ne l’avait pas rendu aussi gauche. Et le pire, c’était qu’il n’était même pas amoureux du roux ni rien, il était juste curieux.

« Heu… voilà… » répéta-t-il bêtement en tendant les feuilles.

Il eut peur un moment que l’autre ne fasse pas le moindre geste et l’ignore totalement, mais il ne fut pas beaucoup plus soulagé quand il prit les cours. William remarqua ses ongles peints en noir et un bracelet de force qui se devinait sous sa manche.

Il essaya de sourire, mais le regard du roux le figea sur place. Il avait l’air prêt à lui sauter dessus pour l’étrangler.

« Je veux pas être ton ami, le gosse de riches » déclara-t-il avec lenteur, d’une voix rauque et froide.

William sentit une vague de chaleur envahir ses joues, il n’avait jamais été aussi mal à l’aise.

« Heu… oui… non… »

Le brun recula pour échapper son regard, et manqua de trébucher sur son sac sous le sourire cruel du garçon.

Il se baissa pour le ramasser et s’enfuit courageusement à l’angle du couloir où il décida d’attendre le professeur.

Finalement, c’était encore pire qu’il ne se l’était imaginé. Il avait bien compris que ce garçon roux au regard fascinant n’était pas facile à approcher, mais il ne s’attendait pas à perdre tous ses moyens face à lui.

Dix minutes plus tard, et le professeur arrivait. William passa rapidement devant le roux, qui attendait que tout le monde soit rentré pour décoller de son mur, en se sentant encore mal à l’aise. Pourtant, le garçon ne lui adressa même pas un regard.

Il prit soin de s’installer sur un bureau à l’avant de la salle, bien loin du rouquin, et suivit comme il put le cours qui venait de commencer.

« Mais monsieur Duval voudra peut-être nous expliquer pourquoi il ne travaille pas ? »

Curieux, William se retourna pour voir quel élève venait d’être pris en flagrant délit.

« J’suis allergique aux stylos, m’sieur, » grinça l’objet de toutes les pensées de William. Il portait désormais une paire de lunettes à la monture rectangulaire. Ainsi donc, il s’appelait Duval…

« Dans ce cas là, venez au tableau répondre à cette question. Une craie ne vous fera pas de mal…

— Ah, mais si même vous vous ignorez la réponse…

— Au tableau, Thomas, » ordonna sèchement le professeur.

Avec un soupir et dans un bruit de chainettes – son portefeuilles, rangé dans sa poche, était attaché à sa ceinture grâce à une longue chaîne – le garçon se dirigea à pas lents vers le tableau pendant que le professeur s’installait au milieu de la salle, les bras croisés sur son torse et l’air ravi.

Thomas resta quelques secondes à lire les phrases écrites au tableau. Il avait l’air de ne même pas savoir ce qu’il était censé faire.

Sous une impulsion, rassuré de savoir le professeur loin de lui, William retourna son cahier pour montrer ses réponses au roux.

Le mouvement dut attirer son regard, car Thomas tourna sa tête sur le côté pour regarder vers le brun. Il observa un instant le cahier, puis ses yeux rencontrèrent ceux de William. Il fronça des sourcils derrière ses lunettes, regarda à nouveau le cahier.

« Vous ne savez pas ? » jubila le professeur de façon presque indécente.

Thomas se retourna et nota frénétiquement les réponses du brun.

« Bien, à votre place… » soupira l’homme, déçu.

Son regard croisa à nouveau celui de Thomas. Il lui adressa un faible sourire, auquel le roux répondit par un regard glacial. Bon, ce n’était pas comme si William s’était attendu à ce qu’il le remercie…

Le brun soupira discrètement. Il devait être un peu masochiste sur les bords, pour s’intéresser autant à un garçon qui le méprisait à ce point…


(à suivre dans le chapitre 04…)