Dimanche 7 décembre 7 07 /12 /Déc 18:15
Le Prince et le Pauvre
Kalsang



Partie I
Chapitre 01 - a



Marseille. Une grande ville française côtière de 827 000 habitants. Environ. De toute façon, on s’en fout.

Dans le troisième arrondissement, près de Saint Charles, se tenait un modeste petit magasin de CD, où l’on vendait du neuf aussi bien que des occasions, des nouveautés aussi bien que des très vieilles musiques, des CD aussi bien que des 45 tours… Quelques instruments de musique d’occasion étaient accrochés aux murs, attendant d’être repérés par un amateur sans le sou.

En ce mardi après-midi, un jeune homme de dix-neuf ans, répondant au nom de Thomas, pianotait d’une main distraite sur le comptoir de la boutique « Tout Temps Musique », prenant soin d’observer un couple d’adolescents qui traînait du côté des variétés françaises en jetant régulièrement des coups d’œil dans sa direction.

Le garçon avait la main sur l’épaule de sa copine, espérant bloquer le bras de cette dernière à la vue de Thomas. Bras qui soulevait et reposait régulièrement quelques CD avec nonchalance.

Rien de tout ça n’inspirait confiance au jeune vendeur.

« Vas-y, qu’est’t’as à nous regarder comme ça, Poil de Carotte ? » s’énerva finalement le garçon, en remarquant que Thomas ne le lâchait pas de vue.

« "Poil de Carotte" ? Oh, tu me blesses, on me l’avait encore jamais sortie celle là… » répondit Thomas d’un ton faussement peiné, une main théâtralement posée sur son front.

Non, mais sérieusement, un truc étonnait quand même beaucoup le rouquin.

« Eh, où tu as entendu ce nom, d’ailleurs ? Tu vas à l’école, toi ? Tu as vu le bouquin perdu entre deux BD ? Ou tu l’as entendu quelque part sans trop savoir ce que ça voulait dire ?

— Pfff, pauvre con !

— Non, vraiment, j’aimerais savoir !

— Viens Elza, on s’tire ! »

L’adolescent attrapa sa copine par la manche et la tira vers la sortie en regardant furieusement vers Thomas. Et un CD venait d’être sauvé…

Thomas Duval connaissait bien ce genre de gosses, il avait été comme ça lui aussi quand il était plus jeune. Avant de commencer à s’attaquer à plus gros qu’un minable CD dans une petite boutique… bien plus gros.

Ils bousculèrent une vieille dame qui entrait dans la boutique avant de disparaître dans la ruelle.

« Vous allez bien mademoiselle Perkins ? » demanda Thomas en se précipitant vers la dame qui se tenait les reins en fixant la porte. Il était de coutume de s’inquiéter d’un hypothétique client, si l’on ne souhaitait pas voir s’envoler son porte-feuille en même temps que l’acheteur…

« Ces jeunes, vraiment, je ne les comprendrai jamais, non non, jamais… » souffla-t-elle.

Thomas eut un léger sourire (ou plutôt un léger retroussement des lèvres… il n’était pas très souriant). Si elle pouvait critiquer, alors elle allait bien !

« Et qu’est-ce que je peux faire vous, mademoiselle Perkins ? » demanda-t-il doucement en retournant s’asseoir derrière le comptoir.

Fidèle cliente de quatre-vingt ans, elle arrivait à peine au torse de Thomas, mais faisait bien trois fois sa masse corporelle… Elle portait toujours les mêmes immenses robes fleuries, et ses cheveux gris étaient coiffés de minuscules frises.

« C’est ma petite nièce. Vous savez, celle qui a douze ans ? Eh bien pour son Noël, elle m’a demandé le CD de ces gens qui passent à la télé. Oh moi bien sûr, je ne regarde jamais la télé – c’est tellement dépravé de nos jours – mais elle, ses parents la nourrissent à ça. Les gamins n’auront bientôt plus une once de culture. Mais que puis-je dire. Si j’avais des enfants, je peux vous assurer que je ne les laisserais pas regarder cette chose, oh non jeune homme ! Rien ne vaut un bon bouquin, c’est moi qui vous le dis ! Et vous imaginez ce que ça doit donner à l’école ? Vraiment ! Vous, vous aimez la télé ? »

Oui, et elle était également une grande bavarde… Thomas avait du mal à se retenir de bailler, mais son air étonnamment bovin aurait alerté n’importe qui de pas trop égocentrique, ce qui n’était manifestement pas le cas de mademoiselle Perkins.

« J’en ai pas… » eut à peine le temps de dire Thomas.

« Eh bien c’est tant mieux ! Je suis sûre que vous étiez meilleur élève grâce à ça, sans perdre votre temps à vous liquéfier le cerveau. Vous étiez bon élève ?

— Le meilleurs, et j’aime tellement l’école que je suis encore en terminale ! Je veux pas quitter le lycée, c’est si… » déclara-t-il, à peine ironique.

« Oui, mais vous travaillez… Ces jeunes, maintenant, ils font rien, ils attendent que tout leur tombe cuit entre les mains. Travailler à dix-huit ans, aucun autre n’y penserait, c’est moi qui vous le dis !

— J’ai vingt ans…

— Oh, oui, et vous avez déjà cette boutique et vous écoutez les déboires d’une vieille fille comme moi, vous êtes tout à fait charmant ! » acquiesça-t-elle vivement en ponctuant sa phrase d’un petit rire haut perché.

En même temps, il n’avait pas d’autre choix que de la laisser converser en grognant de temps en temps… elle devait vraiment aimer s’écouter parler.

Mademoiselle Perkins était une vieille fille qui vivait non loin de la boutique. Elle passait régulièrement pour acheter des vieux disques de Francis Lopez ou des grands classiques de l’opéra (entre autres).

« Vous cherchez donc un CD ?

— Oui, ces jeunes là, qui passent à la télé ! Tous les gamins en sont friands, c’est d’une telle niaiserie…

— Y’a pas mal de jeunes qui passent à la télé, ces temps-ci ! »

La vieille dame commença alors à fouiller dans son sac à main, étalant porte feuilles et papiers divers sur le comptoir. Elle tendit ensuite un bout de journal déchiré à Thomas.

« Ma sœur m’a écrit ça ! »

Dans son fort intérieur, Thomas soupira en voyant qu’il s’agissait d’un CD sortit par la première chaîne de télévision française, où un groupe de jeunes gens chantant aussi bien que des casseroles s’évertuait à massacrer quelques chansons tout aussi minables qu’eux. Dans le fond, il était d’accord avec mademoiselle Perkins… la télévision rendait con. Et accessoirement, avilissait la musique de manière ahurissante.

Il alla récupérer l’album dans un des rayons « bouses actuelles » (ou plutôt « variétés françaises - nouveautés ») et le posa à côté du sac de la vieille dame une fois le prix scanné.

« Ça fera quinze euros soixante. »

Mademoiselle Perkins partit avec son précieux disque, en maugréant une dernière fois contre le temps pluvieux, avant de laisser Thomas seul avec sa caisse enregistreuse.

- x -

Dans la vie de Thomas, il n’y avait pas grand-chose à part la musique. Mais ce « pas grand-chose », il souhaitait parfois pourvoir y échapper. C’est ce qu’il pensa alors qu’un grand jeune homme brun et plutôt baraqué entrait dans la boutique avec un sourire froid.

« Thomas ! Je suis ravi de te voir ! » s’exclama-t-il, si faussement que personne n’aurait été trompé.

« Alfred… j’aimerais bien te dire "moi aussi", mais nous savons tous les deux qu’il est inutile de mentir…

— Toujours le mot pour rire, hein… On t’a pas encore buté ?

— Faut croire que je refuse d’aller vers la lumière... »

Le plus discrètement possible, Thomas leva la clef de la caisse pour la cacher dans la poche de son vieux jean. Mieux valait prévenir…

« C’est pas que tu m’ennuies, mais que me vaut le malheur de ta visite ? »

Alfred eut un sourire mauvais en s’avançant un peu plus vers le comptoir.

« On a repéré une Porsche dans le douzième. On pense pouvoir la choper ce week-end.

— Et vous avez besoin de moi ? » demanda doucement Thomas en s’asseyant sur son tabouret.

« Depuis que Timmy est en taule, nous manque un type pour faire le guet.

— Hm… »

Il réfléchit deux secondes avant de secouer la tête.

« J’fais un remplacement pour les Dark Night, j’pourrai pas venir. »

Alfred n’eut pas l’air d’apprécier ce refus de la part de Thomas.

« Tu crois que je t’ai demandé ton avis ? »

Son faux sourire avait complètement disparut de sa figure, laissant place à un visage menaçant qui aurait même pu fait se pisser dessus un chiot. Au moins.

« Et tu remplaces pour quoi, cette fois ?

— Batterie, parait qu’Andy s’est fait tabasser. »

Alfred se redressa et commença à visiter les rayons, sortant de temps à autre un CD pour regarder la pochette avant de le déposer sur un autre rayon, à l’opposé de sa place première.

« C’est qu’une tantouze, ils ont fait ça pour le bien de la communauté… »

Thomas se retint de grincer des dents en entendant le surnom qu’Alfred avait donné à un de ses (rares) potes. Personne, et il disait bien personne, n’avait le droit de traiter Andy de tantouze, à part lui.

Andy était un homosexuel notoire, il faut dire qu’il ne s’en était jamais caché. Il était ce qu’on pouvait appeler quand on était un peu mauvais une « folle », et le parfait cliché de l’homosexuel épanoui. Il parlait d’une voix suraiguë, portait des vêtements moulants et colorés, avait des manières précieuses… Sa seule chance avait été de tomber sur quelques personnes qui, si elles avaient tout de même du mal avec l’homosexualité, avaient su repérer ses dons pour la batterie avant tout… Et même si les autres membres du groupe gardaient une distance évidente avec lui (du genre « t’es bien sympa, mais t’approche pas, j’aime les filles »), Andy n’était pas malheureux pour autant.

« Et pour la Porsche ? rappela Alfred.

— Le concert fini à quatre heures du matin, puis c’est à Aix et je vais devoir dormir sur place.

— Tu peux pas annuler ?

— Je pourrais, mais j’ai pas envie. »

Alfred eut alors une lueur malveillante dans le regard, et s’approcha du comptoir pour regarder Thomas avec un visage menaçant.

« N’oublie pas à qui tu dois la vie, Tommy… souffla-t-il.

— J’oublie surtout pas à qui je dois d’avoir presque perdu mon œil gauche, Al… » rétorqua le rouquin sur le même ton, un doigt glissant sur la longue cicatrice qui ornait sa joue, du milieu du front jusqu’à son arcade sourcilière, puis de sa pommette à sa mâchoire.

Alfred sourit une nouvelle fois.

« J’ai déjà payé pour ça… »

Thomas ne lâcha pas son regard mais ne dit pas un mot pour autant. Non, de son point de vue à lui, rien de se que pourrait faire Alfred ne le rachèterait pour sa lâcheté.

« Ok, on fera la Porsche sans toi… ça f’ra plus de fric pour nous. »

Sur ce, Alfred quitta la boutique avec un vague geste de la main, laissant Thomas dans une profonde réflexion.

Il était vrai qu’il avait besoin de cet argent, il avait repéré un clavier qui lui plaisait pas mal. Mais il avait fait une promesse à Andy. Et si Thomas ne pensait rien devoir à qui que ce soit, son ami était pour lui l’exception qui confirmait la règle.


(à suivre dans le chapitre 01 - b)
Par Kalsang - Publié dans : Le Prince et le Pauvre
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