Le petit monde de Kalsang

Le Prince et le Pauvre
Kalsang


Partie I
Chapitre 01 - b


Sur le stand, à côté du circuit d’où s’échappait le bruit des quelques motos lancées à pleine puissance, un adolescent brun de dix-sept ans regardait le numéro huit qui n’avait plus que quelques minutes à faire avant le changement de pilote.

« Bill… tu as parlé avec ton père, récemment ? » demanda Martin Chêne, l’oncle de l’adolescent. Un grand homme moustachu d’une quarantaine d’années, aux cheveux grisonnant et au ventre rond témoignant des nombreuses bières qu’il descendait quand il était seul chez lui.

L’adolescent repoussa nerveusement une mèche de cheveux qui refusait de se laisser dompter, et hésita un instant avant de répondre.

« Pourquoi faire ? C’est toujours la même chose avec lui…

— Il fait ça pour ton bien, pour ton avenir, tu le sais, hein ?

— Mon avenir ? Je pense parfois qu’il n’a même pas conscience que c’est moi qui vivrai mon avenir. »

Le regard de son oncle s’attarda une nouvelle fois sur le coureur numéro huit qui passait avec brio un virage plutôt raide, se maintenant confortablement à sa quatrième place (quatrième sur dix coureurs était une place plutôt modeste).

« Il veut ce qu’il y a de mieux pour toi. »

William soupira doucement en secouant la tête.

« Je le sais, et je ne lui en veux pas, seulement… Comment quelque chose que je déteste pourrait être ce qu’il y a de mieux pour moi ?

— Mon garçon… qu’est-ce que tu veux faire d’autre ? »

Le brun quitta le huit des yeux pour regarder son oncle.

« Je veux courir, » déclara-t-il simplement.

Martin lui rendit son regard avec une certaine tristesse. William savait ce qu’il pensait, et il savait que son oncle avait raison, mais cependant…

« C’est un doux rêve que tu as là, Billy. Mais tu dois te réveiller… il n’y a aucun avenir dans le monde de la moto, ceux qui réussissent sont rares.

— Je sais ce que tu penses de tout ça, Martin. Et je sais que dans le fond, tu as parfaitement raison. Cependant…

— Cependant, tu crains de ne jamais être heureux si tu suis les directives de ton père, » termina Martin.

William acquiesça, portant à nouveau son regard sur le coureur.

« Comment pourrais-je être heureux, à faire quelque chose que je hais ?

— Tu y gagneras la reconnaissance sociale, toutes les portes te seront ouvertes, tu ne manqueras jamais de rien…

— Et je pourrai me trouver une charmante petite femme, faire de jolis petits enfants et vivre dans un pavillon en bord de mer, une piscine de billets dans le sous-sol, et vivre heureux jusqu’à la fin des temps dans ma petite vie paisible et prospère, loin des dangers des deux roues… » conclut l’adolescent, essayant de ne pas montrer une trop grande ironie en parlant de femme et d’enfants…

Martin eut un petit sourire en coin.

« C’est précisément ça. »

L’homme fit un petit signe de main à l’un des assistants pour prévenir le coureur huit qu’il était temps de rentrer au stand.

William enfila lentement ses gants, essayant de contrôler les tremblements d’excitation que lui procurait la lente montée d’adrénaline. Sa conversation avec Martin l’avait agacé, mais l’idée qu’il ne lui restait que quelques minuscules minutes avant de monter sur la moto venait de le rendre subitement euphorique. Alors maintenant, ses petits soucis matériels avec son père n’existaient plus, la légère leçon de morale de Martin était loin. William avait ce don de ne jamais rester ennuyé bien longtemps.

Son oncle, et accessoirement le patron du moto-club de l’adolescent et manager de l’équipe, lui tendit son casque.

« Tu es prêt ?

— Je suis prêt, » répondit-il en essayant de ne pas sourire comme un idiot.

« N’en fais pas trop, nous visons uniquement la troisième place, d’accord ? Ce n’est même pas une course "officielle". »

L’adolescent acquiesça, trop impatient pour parler. Et puis, même si son oncle lui conseillait de ne pas voir trop haut, lui ne comptait absolument pas obéir. Il voulait la première place, et il l’aurait. William ne cherchait pas la médiocrité, mais la perfection, et tant pis si c’était dans une course dont personne ne se souviendrait.

Mais il voulait prouver, après la discussion qu’il avait eue avec Martin, que son rêve n’était pas si utopiste que cela.

« Elle arrive … » annonça son oncle.

L’adolescent sautilla légèrement sur place. Bon, d’accord, peut-être devrait-il parfois savoir rester digne et pas passer pour un abruti complet devant la foule… et alors ? C’était sa première course depuis des mois, une course d’endurance de deux heures au circuit de Lédenon. Il avait réussi l’épreuve de qualification la veille, avec Chris.

Enfin, la moto vint s’arrêter à leurs côtés, et une haute silhouette en descendit.

« Elle tire sur la droite, oh, et Bill, fais attention, il y a une flaque glissante juste avant le virage du Pont… » annonça la jeune femme qui venait d’ôter son casque, regardant en direction de l’adolescent.

Si l’on voulait donner une vision très cliché du monde de la moto, alors Christelle Maxime n’avait absolument rien de la motarde typique. Il s’agissait d’une femme magnifique, aux longs cheveux noirs bouclés qui cascadaient sur ses reins, aux grands yeux verts parfaitement maquillés et à la longue silhouette fine toute en muscles discrets. Elle tenait plus du mannequin un peu trop rond que de la motarde, et même William (qui n’était pas très intéressé par les filles… pour ne pas dire pas du tout) la trouvait magnifique. Mais elle restait, malgré sa féminité, une équipière de choc pour William.

« Merci, Chris… » répondit-il, attendant le plus patiemment possible que le responsable mécanique donne son feu vert.

« Si elle tire à droite, il faudrait… intervint Martin.

— On n’a pas le temps, on est en train de perdre des places… » le coupa rapidement William. « Je peux très bien rouler même avec ça…

— Vu, mais il y a des risques qu’elle tire encore un peu… on n’a pas le temps, déclara le mécanicien.

— Et dire que votre boulot, c’est d’être rapide… » se moqua William en enfourchant la moto délaissée, puis regarda une dernière fois vers Martin et Christine.

« Souhaitez-moi bonne chance ! » lança-t-il en baissant la visière de son casque, avant de filer à toute allure.

« Ce gosse est inconscient… » soupira Martin en le regardant s’éloigner.

Maintenant qu’il avait démarré, William n’avait plus de tremblements d’excitation ni de joie euphorique. Il n’existait plus que sa moto, la piste infinie et sa fulgurante montée d’adrénaline. Il aurait pu passer des heures ainsi, à aller toujours plus vite.


- x -

 

Le dernier tour, déjà. William avait réussi à remonter à la quatrième place, ce qui était parfait du point de vue de sa team, mais pas du sien.

Aux yeux de certaines personnes, le brun avait une vie "parfaite" de petit gosse de riches, et ils n’auraient pas compris son engouement pour la moto.

D’autres auraient dit que, s’il aimait tant ce sport, c’était uniquement une lubie de riche pour s’attirer le grand frisson et prouver qu’il était en vie.

Mais pour Bill, c’était plus simple que ça. Il aimait la moto.

Il aimait sentir le corps de sa moto vibrer sous lui, il aimait voir la piste défiler à toute vitesse. L’adrénaline était devenue sa drogue, anesthésiant la partie de lui qui lui soufflait que c’était dangereux, qu’au moindre problème il pouvait se tuer ou finir paralysé.

C’était son unique passion.

Le circuit était le seul endroit au monde où il se sentait être enfin véritablement lui-même.

Alors qu’il arrivait au premier virage de son dernier tour, il augmenta un peu les gaz afin de doubler celui qui le précédait, mais le pilote ne semblait pas être du même avis et leur lute n’en fut que plus acharnée. William réussit finalement à le doubler sans vraiment réaliser ce qui s’était passé. Troisième place. Le numéro quinze n’était pas loin devant, et il fixait sa moto comme si ça pouvait lui permettre de se téléporter.

Ce fut au virage du Pont qu’il sentit sa moto partir seule, et il eut un mal fou à ne pas en perdre totalement le contrôle. La flaque dont Chris lui avait parlé ! Il manqua de créer un carambolage quand la moto de cinquième place fit un écart brutal pour l’éviter.

« Bon sang ! » grogna le jeune homme sous son casque. Son équilibre retrouvé, il fonça à nouveau essayer de récupérer les trois places qu’il venait bêtement de perdre.

Mais ce fut peine perdue.

« C’est pas vrai ! » jura-t-il bien plus tard, alors qu’il quittait son casque et que les trois premières places recevaient les congratulations de tous. Il avait bien réussi à remonter un peu, mais arriver cinquième sur la ligne d’arrivée n’avait jamais été son but !

Martin et Chris se précipitaient vers lui, l’un furieux et l’autre apparemment plus inquiète.

« Tu es un idiot, Bill !

— Tu ne t’es pas blessé ? Equipe médicale ! »

L’adolescent grogna et jeta furieusement son casque à terre, mais l’adrénaline étant retombée il sentit alors une vive douleur sur le muscle de son avant-bras droit.

« Zut, j’ai dû me faire une foulure…

— Je t’avais dit que ce n’était pas la peine de trop en faire !

— Oh, Bill, ça te fait beaucoup mal ? »

Le plus gros défaut de Chris était qu’elle se mettait à pouponner comme une mère en manque de nourrisson dès que le jeune homme avait le moindre petit bobo. Instinct maternel surdéveloppé chez cette jeune femme de vingt-deux ans.

Alors que l’infirmier d’urgence s’appliquait à passer de la crème sur son muscle douloureux avant de le bander, William écoutait distraitement son oncle lui lancer toute sorte de remontrances dont il se serait bien passé. Comme si c’était de sa faute si le circuit était glissant !

Depuis le temps qu’il attendait l’occasion de participer à une course… et il avait réussi à se planter en beauté. C’était vraiment rageant !

« Bill Jones ? »

Une voix inconnue le tira de sa si profonde réflexion qui l’occupait alors qu’il faisait semblant de paraître coupable face à son oncle.

« Oui ? »

Un vieil homme moustachu lui faisait face, vêtu d’un splendide costume et droit dans toute son élégance.

« Je m’appelle Kevin Durano, je suis de la team de Suzuki, » se présenta-t-il en lui tendant la main, que William serra sans se faire prier.

« J’ai remarqué votre course aujourd’hui, j’aime chercher des nouveaux talents. Vous êtes un attaquant, très à l’aise sur votre moto malgré votre jeune âge… Je voulais juste vous encourager. Travaillez un peu plus cependant…

— Mer…ci ? »

L’homme lui adressa un sourire, avant de tourner les talons et de laisser place à Chris, qui avait écouté la discussion de manière très peu discrète.

« Dommage que ton père soit toujours derrière toi. T’imagine si tu pouvais faire autant de moto que tu le voulais ? "Bill Jones" serait déjà célèbre…

— Si j’arrivais à convaincre mon père, peut-être que… » lâcha William, plein d’espoir.

Légèrement rêveur, il partit finalement quitter sa combinaison pour remettre ses vêtements civils et redevenir un adolescent de dix-sept ans plutôt normal, et la différence était flagrante. Peut-être même que personne n’aurait reconnu "Bill", au premier coup d’œil.

"Bill" était un adolescent passionné de moto qui arrivait toujours à se qualifier pour des courses qu’il ne gagnait jamais. Il ne faisait pas grand cas de ses cheveux en bataille qu’il cachait rapidement sous son casque. Sa combinaison rendait sa silhouette longiligne sans pour autant réussir à cacher un petit ventre certes discret mais témoignant du fait qu’il ne manquait incontestablement pas de nourriture.

Quand il quittait cet attirail pour redevenir William Lecomte, ses cheveux redevenaient disciplinés, ses vêtements parfaitement pliés et propres renforçaient son côté BCBG de fils d’un grand chef d’entreprise. Il marchait droit et fier.

Peut-être que son sourire et son air rêveur étaient les seules choses que "Bill" et "William" avaient en commun.

L’adolescent sortit son téléphone portable de sa poche et remarqua qu’il avait reçu un message pendant qu’il était sur le circuit…

« Si t’es toujours ok, on se retrouve samedi à vingt et une heures, sur le Mirabeau. Kiss ! »

Bill sourit et envoya un message de confirmation à son ami, puis téléphona à son chauffeur.

« Edgar, j’écoute ?

— Bonjour, c’est William.

Que puis-je pour vous, monsieur ?

— J’aimerais rentrer plus tôt que prévu, vous pouvez venir me chercher chez mon oncle vers dix-sept heures ?.

Comme vous voudrez, monsieur.

— Merci bien. Et pas un mot à mon père, » puis il raccrocha sans plus de cérémonie, pour rejoindre son oncle et Chris qui s’apprêtaient à rentrer à Nîmes.

« Eh, Bill, tu vas toujours au concert samedi ? » demanda Chris alors qu’ils montaient dans la voiture.

« Oui.

— Tu sais toujours pas qui jouera ?

— Heu… plusieurs groupes, il me semble…

— Je vois.

— Tu veux venir ? » proposa-t-il, voyant très bien ce qu’essayait de lui arracher la jeune femme. Elle cherchait à lui faire dire ça depuis le jour où il lui avait avoué avoir un ami fan de musique qui voulait l’entraîner dans un concert.

« Je peux ? Ça va pas ennuyer ton ami ? demanda-t-elle, toute excitée.

— Je ne pense pas… » sourit Bill.

Encore une fois, le jeune William Lecomte allait cacher ses intentions à son père si strict. Il ne lui dirait pas pourquoi il avait dit avoir cours cet après-midi là alors que le professeur l’avait reporté depuis des semaines. Il lui cacherait son intention d’aller à Aix le week-end prochain.

Il ignorait encore que tous ces mensonges auraient des conséquences insoupçonnées.

 

(à suivre dans le chapitre 02 - a)

Lun 8 déc 2008 1 commentaire
Salut,
Contrairement à ce que tu as dit je trouve que tu écrit très bien. Ton histoire est prometteuse dommage qu'il n'y est que 2 chapitres.Sinon, j'aime bien le Thomas je trouve qu'il est plutôt marrant...
J'attends avec impatience les prochains chapitres.
Wanegen
Wanegen - le 02/06/2009 à 13h11
Coucou !
Héhé, merci ^^" Sacré Thomas, hein ? Il est excellent, mais c'est un vrai con...
J'espère que tu seras toujours là pour la suite !
Kal'
Kalsang